BATXIBAC

BATXIBAC

ANALYSE PAYSAGE

                        Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.


"Paysage" est un exemple de tentative de communion humaine dans le cadre de la ville. C’est un paysage urbain que le poète évoque au travers de la vision de l’homme à sa fenêtre qui médite à la vue du paysage. Baudelaire présente un programme poétique au-delà de son tableau de la ville moderne du 19e siècle. Ici se manifestent une aspiration sociale et une générosité de l’âme. La solitude des hommes dans l’illusoire communauté humaine. Voyons comment ce poème amorce le symbolisme qui a pour principe de recréer les correspondances qui existent entre le langage, le monde naturel ou le monde de l’art, et d’exercer un pouvoir évocateur et suggestif sur l’imaginaire.

La ville : un point de départ de sa rêverie

a) il ne s’agit pas de faire l’éloge de la ville et de la modernité. Baudelaire n’avait que faire de l’admiration d’un Hugo ou d’un Vigny pour le progrès moderne (celui des chemins de fer par exemple). La ville est pour lui un lieu où fourmille la vie, elle est le point de départ de sa rêverie.
Baudelaire est irrité par ce progrès qui est lié selon lui à la domination d’une bourgeoisie maniérée.
Industrialisation et montée de la bourgeoisie irritent Baudelaire.
Baudelaire n’est pas un romantique, il n'est pas admirateur de la nature.
Il est intéressé par la ville. Il évoque « jardin » « saison » pour représenter le symbole du mal de vivre.


b) On pourra noter la mise en place de ce projet dans la gradation ascendante des verbes au futur de la première personne : « je verrai, je fermerai, je rêverai, je serai plongé » : la vision de la ville qu’a le poète : « du haut de ma mansarde » lui permet de faire le plein d’images à la belle saison pour le plonger dans son imagination et son art une fois l’hiver venu (v14) ; la création suppose alors le repli sur soi et solitude (vers15) qui permet le rêve (vers 17) et la création démesurée (vers 24-25-26). Ce que fait donc ici Baudelaire c’est définir la création poétique et les conditions idéales pour la faire surgir.
« verrai » : volonté forte
« creuset » : fait référence à l’hiver
création démesurée : imaginaire, côté magique.

Tout cela montre que le poète est créateur, on ressent la volonté de rentrer en symbiose avec l’univers.

c) termes mélioratifs : « chastement-v1- « doux »- v9, enchantement-v12, volupté-v23 » : tonalité lumineuse du poème ; la création véritable ne peut être source que de bonheur et de « volupté ».

Comment l’auteur rend-il poétique sa vision de la ville ? Quel est son projet poétique ?

1.) Forme poétique

a) forme classique

Alexandrin : vers noble, de 12 syllabes, représente la forme classique poétique. Tout le poème sera écrit en alexandrin.à
Césure à l’hémistiche : c’est une césure après la 6e syllabe d’un vers, cette césure est souvent marquée par la présence de la virgule, c’est encore une fois une marque classique de la poésie. On peut voir ce procédé au V2 ; V3 ;V4 :
« Coucher auprés du ciel, comme les astrologues » ; « Et, voisin des clochers, écouter en rêvant ».
Rimes plates : Tout le poème est organisé en rimes plates, c'est-à-dire de la forme A/A ; B/B : les rimes se suivent.

Tous ces éléments donnent un rythme binaire au poème

Mais ce poème s’inscrit pourtant dans la modernité. Ce poème est moderne par son thème : la ville ; par le vocabulaire, les temps, la structure particulière (strophes de tailles différentes).

b) deux parties inégales

8 vers et 18 vers
V1 à V8 : volonté affirmée d’écrire une poésie inspirée par sa libre imagination et le spectacle de la ville
V9 à V26 : de la rêverie douce à la création totale, le poète se fait démiurge.
Démiurge : dieu de la création

2.) les modalités énonciatives

a) lyrisme du « je » tout au long du poème : émotions, rêveries pensées : c’est toutes une expérience de sensibilité personnelle qui se met en place dans ce premier poème de la section « tableaux parisiens ».
« je » permet l’expression des sentiments personnels :
v1 : « veux » « mes églogues »
v17 : « je rêverai » ;
v26 : « mes pensers » ;
v23 : « je serai plongé dans cette volupté ».
L’expérience de sensibilité personnelle se met en place dans ce premier poème de la section « tableaux parisiens ».
le « je » traduit aussi les sensations visuelles et auditives : « je verrai »

b) des références à sa vie :
- « ma mansarde » : référence à sa vie, il vivait dans une mansarde, appartement situé sous les toits, modeste et où le confort est restreint. À cette époque, c’est à la mode pour les artistes marginaux comme Baudelaire. Mansarde fait référence à la vie de bohème de l’auteur et à une position en hauteur qui surplombe Paris.
- « émeutes » : fait référence à l’émeute de 1848 où les révolutionnaires manifestent contre le régime monarchique. En effet, l’émeute, sous la forme de nom propre a une valeur de personnification c'est-à-dire qu’il fait référence à un moment important de la vie de l’auteur.

c) indices spatio-temporels :

L’évocation temporelle se fait uniquement par les saisons. En effet, v13, v14, v24 : « été », « printemps », « automne », « hiver ». Baudelaire évoque toutes les saisons pour renforcer l’idée de constance et de perpétuel. On voit aussi une coupure avec l’hiver qui apparaît comme la saison privilégiée, c’est une période d’isolement qui permet une concentration totale sur le projet poétique.
L’évocation spatiale est très présente : v2 v3 v5 v6 v7 v8 v9 v10. En effet, en tout lieu, en tout temps, le projet poétique doit s’accomplir.
Élément du décor pour évoquer un lieu précis : métonymie.


Si le poème apparaît au premier abord comme une simple description d’un paysage urbain et moderne, on s’aperçoit à travers l’étude des modalités énonciatives que le spectacle de la ville est surtout un moyen d’échapper au spleen, une tentative pour retrouver le bonheur et l’idéal, peut-être entrevu dans une vie antérieure, mais cela par le biais de la création. Aussi le poème « paysage » peut-il être considéré comme un véritable art poétique.

Autre analyse :www.weblettres.net/blogs/article.php